• Des cendres, la bruyère. Je voulais me souvenir de cela lorsque le vent projetait contre mon visage le sable blanc de Keremma. L'océan émeraude semblait vouloir rejoindre les forêts alentours comme une ombre inquiétante. J'en étais à la lumière de mes méditations. Comme souvent dans nos réflexions intimes se colle une musique, pas réellement choisie. Elle survient plutôt, s'invite. Je me souviens: lorsque je venais respirer contre sa nuque une douce saveur, j'entendais le Boxers de Morrissey. Aujourd'hui sans elle, le long de cette plage, je vois Catherine Earnshaw et résonne la musique de Sleep∞OVER.

     

     

     

     

    Les souvenirs déboulent avec leur chant comme la marée vient à la lune. L'automne se prête à dévisager les landes en courbes rousses, en vague funèbres. Rappel intense des paysages du Yorkshire, le lieu essentiel du roman de Brontë. Il pleut et le soleil passe, il vente et le calme sidérant électrise l'horizon. Le décor façonné par Brontë est incroyable. J'ai touché, par une matinée d'Avril, à travers un rayon de cuivre, la chevelure auburn de Catherine. J'ai vu la pluie battre la tempe d'Heathcliff, ses yeux carnassiers, grands ouverts d'amour. Quelle écriture, quel talent Mlle Brontë.

     

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    Ce mystère de tempête, de froideur et de sensualité me revient en bouffées intrigantes avec cette chanson: Outer Limits. Un mélange de glace et de lave en fusion où l'on imagine très bien de jeunes femmes lover leur corps contre une pierre froide ou une écorce brûlante.

     

     

     

     

    Le plus beau symbole et résumé de Wuthering Heights est une lettre, celle du frère cadet d'Emily, Branwell. Alors qu'il se trouvait être précepteur, voilà comment il racontait son quotidien: " Quant aux jeunes personnes, j'en ai une sous les yeux, maintenant, assise juste en face de moi, jolie, avec des yeux bleus et des cheveux sombres, une douce enfant de dix-huit ans. Elle ne se doute pas que le diable est si près d'elle. "

    La sauvagerie dans l'innocence.

    Alors me voilà, traînant le pas sur la plage de keremma, me battant contre des fantômes avec de mauvaises mains. Le parfum des feuilles brûlées vient se noyer dans l'iode. Je fais des ricochets et les bernaches s'envolent dans le marbre du ciel. Dieu que j'ai aimé cette femme. J'en suis révolté.

     

     

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  • Diable de nostalgie ! Celle qui fait pencher la tête au soleil, celle qui nous empêche de foutre au feu des objets stupides. J'écoutais True Blue de Paul Haig et voilà qu'elle s'est collée à mon visage comme une mauvaise éponge. Je me secoue, virevolte, je fais trembler le feuillage de la mémoire.


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    La voix grave du dandy anglais me ramène à mes grandes lassitudes. Surtout celles du lycée. Il n'y a pas meilleure période pour être las, assurément. Je ne fichais rien de rien, c'était épatant. Mon seul rapport avec la langue de Coleridge, c'était: The Avengers.

     

     

    Cette série était une bonté. Je sortais de mon marasme adolescent pour apprécier cet humour délicat et corrosif. Ce flegme tant admiré, cette ironie réconfortante. J'avais donc pour moi le temps d'un épisode, l'excellence. Et cette excellence, je la goûtais tôt le matin avant de partir en cours. Histoire d'être hors du coup toute la journée. Un plaisir.

    Comme cette nostalgie, c'est un plaisir hasardeux et précis. Celui de se souvenir de ces tartines de beurre concoctées à la Doinel, tout cela, avachi sur un lit artistiquement défait. Le visage à peine éveillé mais ravi de voir apparaître dans l'écran grésillant, le sémillant noir et blanc de la série.

     

    Puis aller au lycée, la tête remplie de répliques astucieuses avec dans son Walkman Sharp jaune citron, Paul Haig. Vraiment durant ces instants, je me sentais prétentieusement intouchable.


     

     

     

     

     

     

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  • La guerre - c'est une bourrasque insupportable. Elle trimbale son flot de morts et de secrets. Elle jacasse et aime le vacarme, elle distribue les offenses comme seule le fait une reine. C'est injuste et con comme la mort la guerre. Elle fait jouer des enfants à un jeu décidément trop sérieux.

    C'est comme Malevitch qui paume un bon nombre de tableaux durant les batailles. Quelle tristesse. Mais, après tout, le régime Soviétique le qualifiait de rêveur philosophique. On l'imagine oublier ses oeuvres et penser plutôt à réchauffer ses doigts entièrement bleus. Le corps a de ces exigences tout de même.

    Le corps justement, son ébullition, son langage et ses variations. La première fois que j'ai entendu le son organique de Camoufleur, cet album de chair végétal, Avril creusait la plante de ses pieds et proposait déjà, des pas de danse printaniers.

     


     

     

    Je rêve toujours avec ce disque et j'observe le soleil perdre le combat de la lumière. Musique du printemps au coeur de l'automne. Je rêve également face à certaines oeuvres nues de Malevitch. Elles plaquent leur vide sur mon visage pour voyager dans mon imagination. Le rêche et le velours. Les escapades insensées.

     

     

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    Purs silences. Bruit, fureur et sens que l'on enfante nous mêmes face à ces crevasses. On s'effraie un peu de ces hautes solitudes.

     

     

     

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    Ah! La tendresse de se souvenir d'une saison dans une autre. Cette fusion des émotions, des historiettes musicales, des parfums, Gastr Del Sol les intensifie jusqu'à les faire disparaître. Abstractions abrasives comme les créait Malevitch. Une guerre à l'odeur de fleur, la vie.

     


     

     

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    Ma mémoire s'inonde d'un tas d'éléments. Ma mémoire est une petite chambre d'adolescent traversée par un vent chaud. Je la parcours, lentement, en baillant car il est fatigant d'attendre.

    Je me suis donc mis à prendre un large grog d'émotions pour épater la valse des souvenirs. Car je danse très mal, je les invite ces songes avec un pas de jaguar blessé. Un jaguar qui boit du martini dry. Il faut, assurément, de la tenue avec le passé. Et je veux en avoir avec ce personnage divin - Emma Peel.

    Cette femme, c'est un peu comme un incendie perdu. On ne le voit pas, mais l'odeur des pins cramés hante vos épaules. Emma, elle se trimbale le long de mon échine comme un affectueux frisson. Quelle extraordinaire occupation que l'amour! Même lorsque l'on est insincère!

    Je serai bien stupide de dire: je l'ai oubliée. Elle est comme cette petite égratignure sur mon tibia, elle me suit de partout pareille aux romances des Smiths.

     

     

     

     

     

    De cette femme, on ne sait rien. Mais on sait qu'elle est heureuse - c'est beaucoup trop.

    Elle a une moue boudeuse et répond à mes bavardages avec des phrases courtes et limpides. Je pourrais inventer des histoires, mais cela ressemblerait à ce qui se passe entre les autres.

    Je n'imite personne: j'ai réellement aimé Emma Peel.


     

     

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    Voilà, je ramasse, sans indifférence, les souvenirs d'une fascination. Avec aplomb et inquiétude. Je dévale les avenues où les jeunes femmes accommodent leurs jambes nues aux lumières d'automne. Je ne me soucie pourtant que de sa présence.

    Je porte en disgrâce certaines revenantes, je leur cloue leur regard sans jérémiades, précis comme une balle, je les oublie un peu... mais jamais elle. J'ai la fidélité et la futilité d'un curé. Je m'octroie l'emphase et le grotesque: je veux qu'elle m'aime et évite d'y penser. Il reste l'armada du rêve. Quel brave garçon je fais.


     

     

    Je fais envoler toute cette collecte sentimentale à bonne distance. C'est sérieux comme un coma cette histoire. La vie est épouvantablement romanesque: on y joue parfois des rôles insipides.

    J'ai le sourire désabusé, j'évacue toutes mes insolences avec sur mon front l'empreinte du torturé. Idiot, je le suis. Idiot comme aimer une femme qui n'existe pas.


     

     

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  • Il y a peu, je me replongeais dans cette oeuvre insensée du clair obscur: Le péché de Franz von Stuck. Voilà une oeuvre de chapelle ensevelie. Peu de monde y goûte mais certains trouvent cette création indispensable.

    Un anonymat parfois incendié par des passionnés. Feu étrange. Remy de Gourmont parlait ainsi de ces oeuvres tapies loin de l'officialité: " Leur autel est au fond d'une crypte, mais où les fidèles descendent volontiers, cependant que le temple des grands saints ouvre au soleil son vide et son ennui."

     

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    Dans ces souterrains on rencontre des créations minuscules et immenses. Oeuvres méconnues mais qui ont des fanatiques. La raison n'a que très peu de valeur et on couche volontiers avec la première passion venue. On s'aiguise à tout va, on se surprend à tremper ses lèvres dans des goûts douteux. Car souvent ces cavités sentent le souffre.

     Je découvrais récemment, grâce à une âme enlevée et charitable, Norma Loy. Musique qui n'a rien d'évangélique, musique inondée par l'orgueil, les attitudes et les élégances.

    On peut dire de Norma Loy qu'ils ne choisissent comme confident qu'eux-mêmes. Trop amoureux de la liberté. Ils peuvent paraître datés - ils sont intemporels. On croirait la caresse de la lave - il laisse une empreinte glacée.

     


     

     

    Ces sombres chants me rappellent l'univers multiple et fantaisiste des écrivains fin de siècle.

    Enfer salé, où l'on mange des choses sucrées avec du beurre d'anchois et où l'on croque des grains de café dans de l'eau de Cologne. Univers fantoche et terrifiant où l'on peint de jeunes danseuses en les violant, grande lâcheté et petite diablerie d'un Degas, chimères tyranniques de ces écrivains pendus à l'oubli comme du linge sale: Hugues Rebell, Catulle Mendès, Paul-Jean Toulet et tant d'autres avachis. Le sable du Temps ne les a pas épargné. Le Temps se soucie peu de la philanthropie.

    En écoutant Norma Loy, j'ai pensé retrouver le charme de ma jeunesse mais ce n'était pas cela car on le sait:  c'est le charme qui vieillit le plus mal. Non, il s'agit plutôt du plaisir de retrouver une belle habitude: la liberté.

     

     

     

     

    A l'écoute de ces compositions vénéneuses, je me remémorais: 

    Souvenirs atmosphériques où je me trimbalais sous les voûtes du Trolley Bus, ivre de mes Estrella Damm bues à toute vitesse. Je plongeais mon regard dans les yeux aux reflets bleus d'induline d'une danseuse aux khôl prononcé. Habillée de noir et blanche comme de la craie, son corps s'enroulait autour de cette chanson, comme un serpent.

    Je relisais également La Camorra, Les Pléiades, Le livre de Monelle, Le vice errant... ouvrages de ces étranges disparus que Felix Vallotton a identifié avec un talent insolent. L'insolence reste souvent le seul privilège des occultés.


     

    LAUTREAMONT

     

     

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    Le portrait de Lautréamont - qui est pure fiction - en dit long sur ces galeries incessantes, ces tombeaux lumineux.

    J'accole volontiers Norma Loy à Hugues Rebell, lui qui disait: " Du mystère de ma vie, il demeure comme une ombre attirante."

    Ombre attirante, Chants de pluie et du soleil, musique de clair obscur, Norma Loy piétine finalement les clichés ou plutôt les invoque - noirs et blancs.

    De l'excès à la sainteté le groupe ne choisit guère. Il expose mille artifices et nous tend une émotion pure, dépouillée, essentielle.

     


     


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