• Vs

     

    La musique Vs le cinéma, la littérature, l'architecture, la peinture. Une confrontation provoquée pour faire ressortir les analogies et les dissonances. 

  • Journée de printemps, il y a un temps fou... oui... une petite éternité à Marseille. Je revenais paresseusement de la faculté, me promettant de ne jamais devenir professeur. C'était encore l'époque où l'on devait marcher fébrilement jusqu'à son disquaire fétiche. Fébrilement pour savoir si oui ou non, il y aurait le disque attendu. J'arrivais toujours un peu haletant au Kaléidoscope. C'était une rude montée lorsque l'on arrivait de la gare St Charles. Un mec avachi empestant la clope sélectionnait nonchalement les 33 tours. Sinon il vous fixait terriblement comme s'il sondait en vous le choix de votre artiste. Gentiment intimidant. Ce jour là, j'étais venu trouver le Poison Boyfriend de Momus.

     

     

    En vain, je cherchais entre les piles de disques, je l'entendis ricaner. D'une voix enrouée de tabac il me dit : “ C'est celui-ci que tu es venu chercher. “ Je regardais une drôle de pochette. Fond noir et couleurs comme fait par un élève tardif de kandinsky ou un amateur des collages de Matisse - Live A Little Love A Lot.


    Moose Vs Max Ernst


    Il me reprit des mains l'ouvrage puis plaça la galette sur la platine. Contre la vitrine du magasin la poudre dorée du pollen se plaquait contre la vitre. Le vent tiède secouait cet étrange rideaux de perles pourpres dans l'entrée. Play God déroulait ses secondes précieuses. J'étais immédiatement sous le charme. Embarqué je prenais également ... X Y Z.




    Je topais le bus pour filer vers les collines de Marseilleveyre. Mes deux disques sous le bras. J'étais debout, à côté d'une religieuse. Je rêvassais parfaitement, heureux de mon butin lorsque le chauffeur freina brusquement et nous balança, la religieuse et moi, sur une jolie jeune femme rousse encombrée d'un énorme carton à dessins. Celui-ci était maintenant à terre, des reproductions de tableaux jonchaient le sol et avec eux, mes deux disques de Moose que j'avais lâché dans ma chute. Parmi les reproductions, il y avait un collage de Max Ernst: “ La Puberté proche... ou les Pléiades.“ La jeune fille, prise de fou rire, alla aider la religieuse. Je rangeais son carton à dessins et repris mes albums.  


     

    Moose Vs Max Ernst


    J'ai, depuis, toujours associé ce collage de Max Ernst aux pochettes de Moose, au mois de mai, au Kaléidoscope - aujourd'hui disparu - à cette jeune fille rousse et à une religieuse avachie par terre.



     

     

     

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  • Morlaix, fin d'après-midi, ciel calme. Ce moment où, deux lumières différentes se rencontrent. Le jour apaise la nuit durant d'étranges minutes. C'est un spectacle muet et insolent. Longtemps, c’était mon moment privilégié pour voir un film de Rohmer. Je baissais le store, je constituais une cellule sombre – c’était le salon de mon appartement - qui étape après étape s’avérait être le lieu parfait pour voir un film. Je restais presque une semaine, ainsi, seul sans voir personne, enfermé avec le cinéma. Les films de Marcel Carné, Renoir ou de René Clair me tenaient à l’abri du monde. Sous Les Toits de Paris, par exemple, reste un souvenir émouvant. Le crachin breton vibrant contre les fenêtres et ce haut vent soufflant rageusement sur les toitures, je m’en souviens parfaitement. L’extérieur était bien hostile et comme souvent, nous qui nous trouvons abrités des éléments extérieurs, nous prenons un plaisir, presque enfantin, à vivre dans notre refuge. A écouter le chaos.


    Rohmer Vs The Durutti Column


    Je n’ai jamais vu, dans ces séances, une fuite mais plutôt une forme d’apprentissage. Le décalage saisissant du cinéma et du réel est sans doutes minime surtout lorsque l’on y prête attention. Les deux sont l’équivalent de la rencontre entre le jour et la nuit, ces instants où tout se travesti, tout est ambivalent et incertain. Finalement, cet instant précis, légèrement mystique et totalement secret, on le retrouve dans le cinéma de Rohmer –  il faut revoir le final du Rayon Vert et l’heure bleue dans Quatre Aventures de Reinette et Mirabelle. J’ai toujours vu en Rohmer une délicate perversion : il plaçait des flots de paroles, de dialogues mais finalement ce qui l’intéressait le plus, c’était la beauté d’un geste, la coupe d’une nuque, l’arrondi d’une épaule. D’où sa fascination pour le muet.

     

    Rohmer Vs The Durutti Column


    J’ai souvent regardé ses films sans leur son, avec de la musique dessus. Le tout tenait. Bien à l’abri, juste après un Conte du cinéaste, il me plaisait à entendre la musique de Vini Reilly par exemple. L’œuvre de Durutti Column m’a toujours fasciné. Par son aspect obsessionnel et idéaliste, rigide et impalpable. Datée et intemporelle évitant que très peu les paradoxes - comme les films de Rohmer.




    Tout ceci est tissé d’une manière insaisissable. Humilité, quête éperdue de vérité, c’est ce que l’on pourrait penser de ces deux œuvres… mais souvent en pensant à ces deux créateurs, je me remémore cette maxime de La Rochefoucauld : “ Nous n’avouons jamais nos défauts que par vanité. “ Deux personnages à l’humilité orgueilleuse. 



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  • Je ne vais te donner aucun amour. Les grandes lignes froides et la couleur, le noir épais qui s'époumone comme du sang dans ta mémoire, le vent sans rien, qui fait vaciller l'immobile. Oui, je ne vais rien te donner. On ressemblera au rêve des amants, on ira porter nos baisers contre des lèvres tièdes - on bordera l'illusion. Ce sera drôle parfois, souvent férocement triste. Jour après jour, je n'y crois plus. Le téléphone sonne, l'attente feule sa présence mais je souris, je m'en veux, j'oublie les petites heures à inventer un manque, plus rien ne me manque, surtout pas une amoureuse. Le grand tableau dans la nuit parle, sa force n'a pas besoin de lumière, pas besoin d'un regard, ce tableau est un étranger. Nicolas de Staël incruste des tristesses dans mes secondes, son Portrait D'Anne m'enlève, cloue mes déceptions, recompose le temps.



     


    Un matin, le paysage recouvrait sa candeur. Rosée, silhouettes nocturnes des arbres, des phares gris, la mer comme une pleureuse toute plate au loin. Je rêvais de te voir mourir entre mes rêves, je rêvais de te voir incendiée comme les mélodies dans une chanson de Codeine. Les étoiles résistaient au jour. Je les admirais, vraiment. 


     

     

     

     

     

     

     

     

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  • On transportait avec Thomas, un immense miroir. On entendait les cloches au loin, un chat, isolé fièrement, regardait un point de vue mystérieux. Dans les rigoles, de l'eau, de la lessive et des pétales de roses. On le plaça finalement sur le toit de la voiture, il était vraiment grand ce miroir. On roula une trentaine de kilomètres, la pluie se mit à tomber. Puis la grêle.Thomas chercha vite un abris. On resta comme des cons dans l'entrée d'un chemin, sous les arbres à attendre la fin de l'averse.

     

     

    La pluie s'arrêta, on se remit en route. Il y avait de vastes champs de colza. J'ai cru voir un arc en ciel au dessus de l'un d'eux. Le ciel était presque orange. Je demandais à Thomas s'il voulait lui offrir, il ne répondit rien. On s'arrêta dans un bar, on se mît minable. On faisait toujours ça lorsque l'on ne voulait plus comprendre le regard de Catherine.

     

    Portrait

     

    Elle nous attendait sous l'abricotier, tous les abricots sont parterre, c'est fichu nous dit-elle, en riant. Elle nous observa un moment, presque timidement. Thomas bégaya que l'on avait un cadeau pour elle. On fit glisser le miroir, on le posa sur l'herbe mouillée. Il était constellé d'impacts, totalement lézardé. Je regardais le visage de Catherine dans la glace, s'observant comme elle l'aurait fait au-dessus de l'eau. C'étaient d'adorables fragments de Catherine. Seul son regard était épargné, ce bleu profond où se tissaient les rêves et les mélancolies. J'y voyais la beauté nette de la vérité.

     


     

    Ce miroir la recomposait magnifiquement. C'était une métamorphose troublante car même en morceaux - sa beauté était intacte. Elle se marra un bon moment, elle disait que c'était un cadeau merveilleux. Que l'on était merveilleux. Elle nous embrassa tous les deux. On flamba des gambas, on s'enivra tout à fait, la terre s'évaporait en d'étranges silhouettes. Parfois je regardais ses mèches d'un blond lumineux, je regardais son profil ciselé à la Morgan, je ne voulais pas la perdre.

     

    Portrait

     

      

    Il n'y a pas longtemps, je jetais des vieux meubles, des pots cassés, des bicyclettes rouillées dans une déchèterie. C' était à côté d'un petit cimetière. Un spectacle unique et absurde. Dans les rigoles: de l'eau et des pétales de roses. Je repensais au miroir, je repensais aux grands yeux de Catherine, je repensais à ses lèvres si douces qui prononcèrent ce terrible - je ne t'aime pas Lyonel.

     


     


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  • L'hiver pointait précisément ses allures. Lui, il en était au printemps, lorsqu'il marchait dans la rue noire. Les réverbères comme de grands cierges blonds illuminaient l'air glacé, les façades des immeubles se recouvraient d'étranges ombrages, la pluie battait ses tempes. Mais Paul s'en fichait bien. Il respirait presque des parfums de rivière, il pensait voir un ciel dégagé par un vent vif, un soleil mordiller des visages doux et pénétrants. Il jouait l'amoureux, dansant sur les trottoirs tristes de Décembre. C'était un premier rendez-vous. Il allait retrouver Léna et son foulard au bleu intense à la Redon.

     

    Portrait

     

    Elle était là, toute en noir campant devant le cinéma avec ses grands yeux de chat. Paul n'était pas en retard, ils s'embarquèrent dans une drôle de soirée où un jeune rockabilly reprenait du Elvis, tout seul à la guitare. Paul et Léna burent du vin, esquissèrent quelques danses sur du Elvis Costello ou encore les Comateens, c'était dans un petit appartement blanc aux tomettes rouges.

     

    Portrait

     

    Paul était un peu ivre, Léna l'était beaucoup plus. Paul voulait être amoureux, Léna l'était tout à fait. D'ailleurs, elle était bien plus belle que lui, elle était plus courageuse. La nuit finissait et la voix de Liz Fraser envahissait la pièce, caressant les hauts plafonds. Paul fuyait vaguement son propre désir de l'embrasser et elle, magnifique, imposait ce regard trouble de l'amoureuse raffinée.

     


     

     

     Il se faisait tard ou plutôt trop tôt. Paul n'avait nul part où dormir. Il regardait dans cette fin de nuit froide, ce ciel implacable. Ils se donnèrent un baiser furtif devant un taxi. Paul rentra, près de la mer, il marcha deux heures. Frigorifié, il vit le soleil se lever. Il s'en voulait de tout et de rien.

     

     

    Il pris un café dans un rade puant le tabac et l'anis. Il savait qu'il ne reverrait plus Léna, il savait qu'il loupait bien des choses. Mais là, fatigué et perdu, il se sentit la force de mettre à distance celle qu'il n'avait jamais su oublier.

     

     

    Puis il se mit à traîner le long d'une petite corniche. Au loin, on voyait quelques pétroliers. Un vieux tzigane ivre mort lui rentra dedans, il vendait des roses séchées. Paul les lui acheta toutes. Il marcha encore une bonne heure. Il arriva dans la petite plage de l'Abricotier. Il s'allongea un moment sur le sable glacé. Il regarda le ciel, c'était le ciel d'un printemps, bleu et vif. Il allait enfin pouvoir continuer à vivre.

     

    Portrait


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