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Music, Art, Littérature, Culture

John Maus Vs Lovecraft

Margot m'attendait souvent de la même manière - avec sa peau blanche, quasiment nue, son chat noir lové sur ses cuisses. Elle passait son temps à faire des collages remarquablement beaux à la façon Agnes Montgomery. Un pin incendié, une roue de vélo, un visage en noir et blanc, une montagne lointaine et mauve. Ces assemblages étaient poétiques et ravissants. Elle découpait des heures durant des centaines d’images, cigarillo mourant au bord des lèvres, un verre de Brandy jamais très loin, elle flottait dans une immense chemise blanche généreusement entrouverte.

 

Portrait

 

Dans son petit appartement tout brun, elle restait ainsi des journées à travailler en écoutant du Messiaen. Un jour, on écouta John Maus. Les poèmes bruts de l'américain me rapprochaient d'elle. Sur sa peau blanche qui marque trop vite, je déroulais mes mains, je laissais naître l'empreinte de mes lèvres dans la tiédeur de son sexe.

 

 

 Elle pourrait dire - … j’ouvre les fenêtres, un parfum de bitume et de soleil rentre dans la pièce. Je vais dans la cuisine, trouve des feuilles de menthe, j’ai encore au bord des lèvres le goût d’amande pénétrant de son sperme, je mâche la menthe associant, comme ça, les deux saveurs. Mon corps est trempé de sueur. J’entends au loin les premiers canadairs. En bas, les pianos dans la vitrine reflètent leur silhouette pure. Les passants s’embrassent devant eux, fument ou téléphonent. J’aurais voulu récupérer mon piano chez ma grand-mère, jouer à cette heure précise quand la lumière finit par fondre, quand les premières ombres serpentent sur les toits. Du Satie, je commencerais par la Gnosienne n°1, oui, c’est mon petit crépuscule qui avance et que j’adore.

  

Portrait

 

 Chaque fois, c’est une cérémonie. Mes mains enlacent ses hanches, agrippent et griffent doucement, tout cela comme une fonte des chairs, une mélasse de caresses où la tendresse et la sauvagerie parcourent intensément nos corps comme un unique équilibre. Le sang bat les tempes, la sueur se mêle au parfum de salive, de sel.

 


 

Cet appartement adoré qui faisait résonner nos lumières, c’était un peu le Providence de Lovecraft, un endroit sacré. Margot lisait souvent ses poèmes lugubres et sereins – Le jour sans nuage est plus riche à sa fin. Elle aimait prononcer avec sa voix grave de fumeuse, lentement, Fungi De Yuggoth.

 

 

Portrait

 

 

 Haletante, elle me racontait ses cauchemars - je me retrouve peu à peu invitée, malgré moi, à un colossal bûcher ; des tas de longs corps maigres et cuivrés s’agitent. Tout me paraît évident: enfant j’avais été happée devant cette reproduction de l’Enfer des très riches heures du comte de Berry. Un sublime exemple du syndrome de Stendhal … une maladie jetée au visage comme une serviette chaude. Cette monstrueuse angoisse me tenait encore quand je te suivais le long de ce sentier de la Sainte-Baume. La nature dégueulait sa rancœur de l’Homme là juste devant mes yeux…tout semblait être réversibilité : passage étrange du sacré au démoniaque. La beauté du monde s’offrait avec la conscience aiguë et proprement scandaleuse de la Mort. Une immense cuisse illuminée s’impose. Je peux voir le Léviathan que par fragments, impossible de le concevoir dans son ensemble, trop intense, trop dur et bien trop inhumain.

 

 

Elle s’endormait contre moi, la nuit projetait ses illusions contre les vitres de la grande fenêtre. Au loin, les grands yeux jaunes du chat noir me récitaient le plus terrible des contes.

 

 

 

  

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